Papiers, s’il vous plait !
Le mur des lamentations vous invite à glisser entre les interstices de la pierre hérodienne un bout de papier adressé à la divinité. Ses plis dissimulent revendications et espoirs, cris silencieux et prières muettes.
Il est vrai que pour continuer à glisser des petits papiers dans les trous, il faut nettoyer le mur deux fois par an à grands coups de balai ; que fleurissent les sociétés qui proposent de glisser pour vous un papier que vous aurez envoyé par internet et que le protocole conçoit l’insertion d’un papier officiel mais secret comme passage obligé de toute visite diplomatique.
Si on se réfère aux traces écrites, la première mention de cet usage date du milieu du 17è siècle. Il faut la mettre en parallèle avec les traditions qui consistent à laisser des objets personnels à proximité de tombeaux de saints et de temples dans le monde entier. Je vous renvoie vers tous ces arbres à foulards ou à papier au Tibet, en Mongolie ou ailleurs et plus près de chez nous, aux trésors en monnaie sonnante et trébuchante des citernes de châteaux forts.
Arbre à vœux, Temple de Gengis Khan, Ulan Hot, Mongolie intérieure, Chine
Ce genre de coutumes existe déjà dans le monde sumérien au troisième millénaire avant notre ère. Leur culte fini, les gens se rendent au marché et y achètent une statuette sur laquelle ils font parfois graver leur nom. Puis ils placent leur statuette à proximité du dieu afin que la statue continue à chuchoter dans l’oreille du dieu le nom de la personne à protéger. Ces statuettes s’appellent des prieurs et vous pouvez en admirer de magnifiques au Bible Land Museum of Jérusalem.
Le prieur – comme le bout de papier ou la pièce de 1 cent- est, en tant qu’objet personnel, porteur du désir humain de laisser derrière soi un peu de son être dans l’espace sacrée.
Le prieur sumérien existe en lieu et place de l’homme ou de la femme auxquelles les circonstances de la vie ne permettent pas de demeurer dans l’enceinte du Temple. Il est la représentation plastique de son propriétaire dans son attitude d’adorant, implorant la protection du dieu et faisant état de sa présence permanente dans le lieu sacré.
L’inscription gravée avec le nom du propriétaire que l’on trouve parfois sur les statuettes participe du même processus mais de manière plus abstraite. Il faut revenir aux origines de l’écriture pour saisir la fonction quasi-magique du média graphique.
À partir du moment où le nom est écrit, l’écriture du nom incarne l’individu. Le nom écrit, un peu comme la signature contemporaine, personnifie l’individu exactement comme la statuette en prière. Il suffit que le nom figure dans le temple pour que le porteur du nom existe aux yeux de la divinité et bénéficie de la protection céleste.
Les papiers du mur des lamentations fonctionnent de la même manière, ils sont d’abord des objets personnels (même si ce sont seulement des morceaux de papier) laissés dans l’espace sacré, mais ils sont surtout porteurs de signature, c’est-dire personnifiant ceux qui, écrivant leur lettre à dieu attendent sa protection en retour.
Rien ne prouve que les chuchotements à l’oreille des dieux sumériens ou nos pliages modernes aient un jour vu se réaliser les aspirations les plus secrètes de l’humanité.
D’aucuns disent qu’à Jérusalem, au moins, les gens s’adressent à un mur.
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